Lettre des enseignant-e-s chercheurs non titulaires et précaires de la recherche en danse

 

Nous enseignant-e-s chercheur-se-s non titulaires, doctorant-e-s en fin de thèse et jeunes docteur-e-s spécialisé-e-s dans les études et la recherche en danse lançons un cri d’alerte sur la situation que nous traversons actuellement.

En l’espace de quelques années, les conditions de travail et de recrutement se sont considérablement dégradées. Elles sont liées aux problèmes de l’université en général (désengagement de l’état, autonomie des universités, financement au projet, etc.) mais aussi à la spécificité de la recherche en danse. Celle-ci s’est développée en France au sein de l’université et du milieu chorégraphique tout au long des années 2000 et 2010 conduisant à la reconnaissance des départements Danse, à l’accroissement de la production théorique notamment à travers la multiplication des thèses, à la création de plusieurs postes de MCF à Lille, Paris 8, Nice mais aussi Lyon, Strasbourg, Montpellier. Cette dynamique a fait naître l’espoir aux nombreux doctorant-e-s et docteur-e-s en danse qu’un avenir à l’université était possible. Aujourd’hui, nos désirs d’entamer une carrière à l’université et de pouvoir vivre dignement de notre travail sont largement entravés par une situation politique visant à remplacer nombre de postes à valeur MCF par des vacations qui mènent à une forte précarisation de nos conditions de travail, à l’épuisement et à une grande amertume.

Cette précarité vécue par un grand nombre d’entre nous est à la fois financière et morale :

Bloqué-e-s dans le sas de l’université, nous devons de plus en plus nous contenter de postes d’enseignement sous formes de vacations. Auparavant réservés principalement aux professionnels venant partager ponctuellement leur expérience au sein de l’université, ce statut qui est désormais le lot commun des jeunes docteur-e-s sans poste et un prérequis pour leur CV, est particulièrement inacceptable pour de nombreuses raisons :

  • Le tarif est en inadéquation avec la réalité des tâches : parce que les cours sont différents d’une année sur l’autre et demandent de véritables créations de contenus ; parce que le suivi des étudiants par courriel, la correction des travaux, l’organisation de sessions de rattrapage sont autant d’heures supplémentaires qui ne sont pas prises en compte ;
  • Les délais de paiement surviennent la plupart du temps deux ou trois mois après la fin du dernier cours, ce qui conduit à une situation invraisemblable où la plupart de notre temps est consacré à préparer et à donner des cours mais sans percevoir de revenu pour cela ;
  • Une instabilité permanente : nous ne savons jamais comment va se dérouler l’année prochaine, dans quelle ville et dans quelles conditions.
  • Le non remboursement des frais de transport dans la plupart des universités ou le non avancement de ces frais alors même que nous ne percevons aucun salaire pour notre travail ;
  • Plusieurs témoignages et études montrent que le revenu d’un vacataire se situe, avec le cumul de toutes ses obligations, entre 4 et 7,50 € de l’heure, tarifs largement en dessous du SMIC. Avons-nous effectué toutes ces années d’études pour gagner moins que le SMIC ?

Cherchant des portes de sortie, puisque l’université ne propose pas suffisamment de postes, nous devons effectuer une recherche d’emploi et de financements tous azimuts épuisante et improductive. Il nous faut chercher tout et partout : dans les écoles d’art, dans les secteurs publics et privés de la culture, éplucher les sites des universités pour dénicher post-doc et contrats de travail contractuel. En plus des campagnes d’ATER - dont les fiches de postes sont souvent lacunaires et de MCF pour lesquelles il faut être en permanence réactif et spécifique (adapter son CV, format et contenu ; rédiger une lettre de motivation comme il est parfois demandé, etc.), il nous faut aussi chercher dans tous les sens des postes dont le profil correspond très rarement à notre formation. Au final, chaque année, au terme d’une campagne d’ATER qui ne donne rien, nous avons fourni des heures et des heures de prospection et de travail sur les candidatures démoralisantes et sans effets. En outre, l’expérience montre que le secteur culturel n’est pas encore habitué voire réticent à recruter des profils « doctorat » : nous sommes souvent considérés comme surdiplômés ou inaptes à certaines tâches alors que le parcours de thèse favorise un grand nombre de compétences communicationnelles, organisationnelles, etc. Par la présente, nous aimerions faire valoir cette expertise qui est la nôtre auprès des institutions culturelles du monde de la danse.

Une génération de chercheurs est train d’être sacrifiée. Nous avons ou sommes en train d’acquérir le plus haut diplôme de l’enseignement supérieur, intervenons dans des colloques, publions dans des revues scientifiques, mais nous ne gagnons pas notre vie.

C’est pourquoi, nous avons décidé de nous manifester, de nous unir et de nous mobiliser afin de constituer une force solidaire et ainsi de rejoindre la dynamique des collectifs de précaires de plus en plus nombreux qui s’organisent ou se manifestent dans les universités.

Notre démarche a une double perspective. Elle consiste d’abord à interpeller les tutelles et revendiquer :

  • la fin du gel des budgets pour permettre la création massive de postes titulaires d’enseignants- chercheurs qui correspondent à la réalité des besoins aujourd’hui.
  • l’augmentation des financements de post-doc.
  • la mensualisation du paiement des vacations.
  • la revalorisations des heures de TD et ETD en tarif CM afin de compenser le travail non payé de correction de copies, travail administratif, etc.
  • le respect du droit du travail. L’accès aux droits à la retraite et aux indemnités de chômage.
  • le défraiement systématique des frais de transports.
  • la transformation des années d’ancienneté comme vacataires en poste de MCF.

L’autre perspective consiste à nous organiser, créer un réseau et des outils pour tenter de survivre au sein de cette situation dégradante :

  • constitution d’un corpus de témoignages.
  • plate-forme de discussion, de partage des expériences et d’échanges d’information notamment concernant les offres d’emploi.
  • mise en place d’une grille tarifaire concernant les rémunérations occasionnelles (conférences, articles, etc.).
  • établissement d’une liste de sites internet ressources en particulier dans l’offre et la recherche d’emploi.
  • l’établissement de liens avec les collectifs de précaires de la recherche.

En outre, nous sommes conscient.e.s que la situation que nous traversons est avant tout corrélative à la dégradation des conditions de travail à l’université et concerne, de ce fait, aussi les enseignants- chercheurs titulaires. Malgré les apparences, le système universitaire « continue de fonctionner1 » en premier lieu parce qu’il a pu absorber l’augmentation du nombre d’étudiants sans en faire peser le coût au niveau des dépenses publiques. Mais « cette remarquable continuité n’a pu être assurée qu’à un prix : celui d’une dégradation des conditions de travail des universitaires eux-mêmes2 ».

Aussi, nous voulons faire front commun avec les enseignants-chercheurs titulaires et nous souhaitons que l’engagement (pédagogique et pour l’amélioration des conditions de travail) dont nous faisons preuve lorsque nous enseignons dans leurs départements se manifeste aussi à notre égard ; que l’encadrement de nos missions se fasse dans la juste proportion par rapport à nos rémunérations et conditions de travail ; que la lutte pour le maintien des budgets et des postes au sein des départements ou pour des créations de postes s’étende à une meilleure gestion, protection et valorisation des vacataires ; que les critères de recrutement soient transparents ; enfin que les informations qu’ils détiennent (postes de contractuel, financements, etc.) puissent circuler plus rapidement.

Nous interpellons également le secteur culturel afin qu’une réflexion sur la place des chercheurs en danse et sur la valorisation de leurs compétences puisse s’ouvrir.

LE COLLECTIF DES PRECAIRES DE LA RECHERCHE EN DANSE

JUIN 2019

précaires.danse@gmail.com